Extrait Dossier de l'Art

DOSSIERS DE L’ART 299 / 5 ³ Rosa Bonheur a été une femme de combats dans son siècle. Avant d’évo- quer l’hommage qui lui est rendu en 2022, pouvez-vous nous dire quel a été, selon vous, son principal combat ? Leïla Jarbouai : Avant toute autre chose, Rosa Bonheur s’est battue pour devenir artiste et pouvoir vivre de sa peinture. C’est à cela qu’elle a consa- cré toutes ses forces, et c’est ce qui l’a amenée à faire un choix de vie radical et incroyablement libre : elle a renoncé au mariage, à la maternité ; elle a orga- nisé autour de son travail tout son quotidien. Aussi sa vie et son œuvre sont-elles indissociables. Les liens qu’elle entretenait avec ses amies les plus proches sont eux-mêmes étroi- tement mêlés à son travail. Nathalie Micas, notamment, sa complice et son amie de chaque jour, œuvrait à ses côtés. Elle reportait les calques sur les toiles, préparait les fonds des tableaux, pratiquait la botanique, fabriquait des onguents pour soigner les animaux. On sait par exemple qu’elle a réa- lisé une bonne partie de la réplique du Marché aux chevaux conservée à Londres. En dépit de la propension au dessin étonnante qu’elle semble avoir manifestée dès l’enfance, Rosa Bonheur a dû aussi batailler pour convaincre son propre père qui, artiste lui-même, savait que, pour une femme comme pour un homme, c’était une carrière di"cile. Paysagiste et por- traitiste, il gagnait peu d’argent. On peut imaginer qu’il ne l’a pas d’emblée poussée dans ce sens. ³ Lorsqu’on se penche sur son œuvre, on est frappé par la rareté de la littéra- ture, qui fait que la biographie rédigée par Anna Klumpke avec l’aide de Rosa Bonheur, datée pourtant de 1908, demeure la référence. L’enjeu scien- tifique de l’exposition et de son cata- logue était-il d’autant plus important ? L. J. : Ce catalogue avait une ambition scientifique. Nous avons toutefois tra- vaillé dans un délai assez court, un an et demi environ, pour mettre sur pied l’exposition, et nous avons donc envi- sagé le catalogue comme un ouvrage n Rosa Bonheur, Cheval de face avec son palefrenier , 1892. Crayon graphite et gouache blanche sur cyanotype, 24,5 x 16 cm. By-Thomery, château de Rosa Bonheur. Photo service de presse © Château de Rosa Bonheur. Comme en témoigne une découverte toute récente faite dans les réserves du château de By et étudiées dans le catalogue de l’exposition, Rosa Bonheur conservait des dizaines de cyanotypes retouchés tantôt au crayon, tantôt à la gouache, parfois à l’aquarelle, témoignant d’un procédé graphique hybride et singulier. n PAGE DE GAUCHE. Rosa Bonheur, L’Aigle blessé , vers 1870. Huile sur toile, 147,6 x 114,6 cm. Los Angeles, Los Angeles County Museum of Art. Photo service de presse © LACMA, Los Angeles polyphonique qui permette d’ouvrir des pistes de recherche. Centré sur l’œuvre de Rosa Bonheur, il aborde plusieurs aspects inédits de son tra- vail, comme son rapport aux autres peintres, un thème qui, pour évident qu’il paraisse, n’a jamais été étudié. Il était important d’analyser les liens de certains de ses tableaux avec Courbet, Millet, Géricault ou encore le grand peintre britannique anima- lier contemporain, Edwin Landseer. Cette étape est fondamentale parce qu’elle permet de mesurer son ori- ginalité à elle, et de la comprendre. Nous nous sommes également inté- ressées à la variété de ses techniques, notamment graphiques, qui ont une place significative dans l’exposition : elle était tour à tour aquarelliste, pas-

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