Extrait Dossier de l'Art

4 / DOSSIERS DE L’ART 298 // On a coutume d’opposer les années 1920 en Allemagne à l’ex- pressionnisme qui a dominé les années 1910. Pouvez-vous décrire ce qui, dans l’expressionnisme de la génération précédente, ne semble plus possible pour les artistes au sor- tir de la guerre ? Angela Lampe : En Allemagne, la Grande Guerre a eu pour consé- quence un changement total de paradigme esthétique et sociétal. La boucherie des tranchées a été vécue comme un cataclysme où s’est enra- ciné le fameux désenchantement qui a été pointé et analysé par Max Weber. Dans les arts, cette désillu- sion générale s’est traduite d’abord dans la négation incarnée par l’es- thétique dada, qui avait encore une dimension révolutionnaire. Dans un second temps, sous la République de Weimar, s’est imposée une esthétique figurative, misant sur la distance et la froideur : avec la Neue Sachlichkeit , la Nouvelle Objectivité, c’est doréna- vant l’objet qui prime et non plus le sujet. La subjectivisation à outrance, qui était au cœur de l’approche expressionniste, n’est plus d’actua- lité ; elle se mue en une approche dis- tanciée, fonctionnaliste, rationnelle. À ce changement a contribué un phé- nomène mis en évidence par Helmut Lethen, historien de la littérature : le sentiment de honte du peuple alle- mand, que la défaite et l’humiliation ont fait naître. Selon Lethen, de là est né dans les années 1920 un nou- veau type social qu’il nomme « per- sona froide », et qui affecte l’indif- férence pour sauver les apparences et échapper à la honte. En peinture se développe alors une tendance à montrer l’homme et la femme comme des personnages endossant un rôle social, profession ou habitus. Les modèles se cachent derrière un masque ou un rôle, comme si l’indivi- dualité était dépassée. Q Carl Grossberg, Selbstbildnis [Autoportrait], 1928 Huile sur bois, 70,1 x 60 cm. Collection particulière. Courtesy Bröhan Design Foundation, Berlin / Germany. Photo service de presse. Photo © Grisebach GmbH Sous la bannière de la Nouvelle Objectivité, qui cristallise l’esprit et le style des années 1920 en Allemagne, c’est à un ambitieux panorama de l’époque que nous convie le Centre Pompidou, mêlant indissociablement les productions artistiques aux questions de société. Le parcours thématique, articulé autour du chef-d’œuvre photographique d’August Sander, Hommes du XX e siècle , qui mérite en effet à lui seul une exposition, rassemble environ 900 œuvres et documents pour rendre compte des questionnements, des han- tises, des contradictions qui traversent en une décennie toute la production artistique outre-Rhin, de la peinture au théâtre, de la danse à la littérature, de l’architecture au cinéma. ENTRETIEN AVEC ANGELA LAMPE ET FLORIAN EBNER, COMMISSAIRES DE L’ÉVÉNEMENT. PROPOS RECUEILLIS PAR ARMELLE FAYOL Allemagne anne’ es 1920 POMPIDOU AU CENTRE

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