Extrait Dossier de l'Art

DOSSIERS DE L’ART 296 / 59 Initié au milieu du XX e siècle, le débat sur l’origine « nor- dique » (Ingvar Bergström) ou « latine » (Charles Sterling) du genre pictural de la nature morte s’est révélé à peu près aussi oiseux que celui consis- tant à identifier l’inventeur de la passoire à thé. Au-delà de cette recherche des ori- gines (les deux thèses sont également fondées), il est un fait patent : ces représenta- tions d’objets choisis, dispo- sés par les peintres avec un soin extrême ou une appa- rente désinvolture, présen- tèrent d’emblée un caractère contradictoire, aporétique pour parler comme les phi- losophes. Elles célèbrent ainsi une réalité empirique, la beauté (ou la trivialité) de la matérialité d’un monde dont elles constatent concurremment qu’il est promis, comme le spectateur qui le considère, à une destruction à plus ou moins brève échéance, annihilation à laquelle l’œuvre d’art prétend, provisoirement, échapper. De la simplicité au luxe (et réciproquement) Au début du XVII e siècle, dans les différents foyers artis- tiques de la jeune république, les natures mortes (l’ex- pression de Stilleven – littéralement vie immobile, silen- cieuse – apparaît au cours du siècle) se signalent souvent par une forme de dépouillement et de frugalité en accord, sans doute, avec les mœurs d’une nation éman- cipée par des décennies d’âpres luttes. Ces tableaux austères considèrent, notamment, d’humbles mets (sou- vent depuis un point de vue surplombant) qui paraissent « juxtaposés » sans apprêt. Boudés lors de la constitution des collections originelles du musée, ils ne sont guère représentés au Mauritshuis. C’est encore une nature morte de fromages datant du milieu des années 1610 et due à une peintre des Pays-Bas espagnols, l’Anver- soise Clara Peeters (v. 1587-apr. 1636), qui rend le mieux compte de cette esthétique « archaïque » avec toute- fois un accent de luxe, tout flamand, dans le choix de la vaisselle 1 (voir p. 8). Cette rigueur des premières décen- nies se retrouve, mais de manière plus chatoyante, chez les initiateurs des natures mortes florales tel Ambrosius Bosschaert, dont le musée possède l’un des plus parfaits n Adriaen Coorte, Fraises sauvages , 1705. Huile sur papier marouflé sur bois, 16,5 x 14 cm. inv. 1106

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