Extrait Dossier de l'Art

22 / DOSSIER DE L’ART 279 Rembrandt (1606-1669), qui scruta la condition humaine jusque dans ses fibres les plus secrètes, ne fut pas un peintre de la mer. Jadis conservé à Boston, le tableau de jeunesse reproduit ici constitue, par conséquent, une œuvre singulière. L’œuvre illustre la traversée mouvementée du lac de Tibériade (ou « mer de Galilée ») par le Christ et ses disciples, relatée par Matthieu, Marc et Luc dans les Évangiles : « Il monta dans la barque, et ses disciples le suivirent. Et voici, qu’il s’éleva sur la mer une si grande tempête que la barque était couverte par les flots. Et lui, il dormait. Les disciples s’étant approchés le réveillèrent, et dirent : Seigneur, sauve-nous, nous périssons ! Il leur dit : Pourquoi avez- vous peur, gens de peu de foi ? Alors il se leva, menaça les vents et la mer, et il y eut un grand calme. Ces hommes furent saisis d’étonnement : Quel est celui-ci, disaient-ils, à qui obéissent même les vents et la mer ? » (Matthieu, 8, 23-27). La puissance de l’allégorie sur la traversée de la vie et la mort, la foi qui sauve, le doute qui condamne, décourage la glose. Le tableau, qui s’inspire librement de la composition d’un grand maître anversois d’une génération antérieure, Maarten De Vos († 1603), se rattache sans doute à ces tempêtes qui sont moins des paysages que des tableaux religieux. Jeune maître ambitieux, Rembrandt, qui venait de s’établir à Amsterdam, paie cependant son tribut à un genre en plein essor dans les Provinces- Unies ; il restitue, de manière somme toute vraisemblable, l’e"et d’une trombe marine (saint Luc et saint Marc évoquent un « tourbillon »). Le blanchissement spectaculaire de l’écume, le tumulte rageur des flots, les cieux tourmentés qui déjà s’éclairent comme s’ils anticipaient docilement le commandement du Christ, sont traités avec un soin remarquable et des moyens qui ne sont pas indignes d’un véritable peintre de marines. Ces motifs intéressent presque autant que les petites figures expressives qui luttent contre les éléments et sont la proie de l’e"roi… ou du mal de mer (on a prétendu que l’unique personnage fixant le spectateur d’un air interrogatif serait l’artiste lui-même). Le fait que le tableau ait, apparemment, appartenu, dans les années 1640, à Thijmen Jacobsz Hinlopen, l’une des grandes figures du négoce international amstellodamois, puis à Jacques Specx, gouverneur des Indes orientales hollandaises (?), mérite d’être souligné. A.M.d.B. Q Rembrandt, Le Christ dans la tempête sur la mer de Galilée , 1633. Huile sur toile, 160 x 128 cm. Boston, Isabella Stewart Gardner Museum (volé au musée en 1990 et jamais retrouvé) © Bridgeman Images REMBRANDT Le Christ dans la tempête sur la mer de Galilée Il monta dans la barque, et ses disciples le suivirent UN CHEF-D’ŒUVRE PERDU

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