Extrait Dossier de l'Art n°267

DOSSIER DE L’ART 267 / 5 L’histoire des Noirs en France entre 1798 et 1930 est-elle une histoire de représentation(s) ? Isolde Pludermacher : Certainement, et à divers titres ! La polysémie du terme « représentation », qui renvoie tant aux images qu’à l’imaginaire, reflète l’approche plurielle que nous avons adoptée. Le terme « Noirs » en soi est déjà affaire de représen- tation. C’est au XVIII e siècle que s’établit une divi- sion de l’espèce humaine en « races » définies par la couleur de la peau. Au XIX e , l’abolition progressive de l’esclavage n’empêche pas le développement d’un « racisme scientifique » qui cherche à établir une hiérarchie biologique des races. Le vocabulaire alors employé est significatif : on parle de « Nègre » et « Négresse », termes qui renvoient à la condi- tion d’esclaves des Noirs, tandis que tout un éven- tail de mots reflète ce que l’historien Pap Ndiaye appelle le « colorisme », c’est-à-dire le « nuancier mélanique » qui différencie le mulâtre, l’octavon ou le quarteron. Toutes ces catégories sont associées à des stéréotypes sur la sexualité des Noirs ou sur leur propension supposée à la servitude. Au XIX e siècle, on désigne également les Noirs comme des « personnes de couleur », expression qui nous inté- resse ici à plusieurs titres, car à la dimension anthro- pologique, historique et sociale s’ajoute l’angle de la représentation artistique. Comme l’a souligné Anne Lafont le glissement du terme « pigment » du domaine de la peinture à celui de la dermatologie s’opère au XVIII e siècle. Dès lors, la représentation de la peau noire devient pour les artistes un sujet d’exploration plastique et formel. ENTRETIEN Le modèle noir de Géricault à Matisse Projet ambitieux et important, l’exposition du musée d’Orsay est la première consacrée en France aux modèles noirs qui ont posé devant les artistes au XIX e siècle et au début du XX e , mais dont on ne connaît souvent que le prénom. Conjuguant histoire sociale et politique, histoire des idées et histoire de l’art, elle étudie la manière dont s’élabore, de 1794 à 1930, de Girodet à Matisse, une iconographie dense, complexe et mouvante, accompagnant les évolutions d’un pays qui abolit deux fois l’esclavage tout en jetant les bases d’une nouvelle aventure coloniale. Isolde Pludermacher et Cécile Debray, membres du commissariat de l’exposition, reviennent sur l’importance de cette question et sur les recherches qui ont été menées. Propos recueillis par Armelle Fayol Q Jean Léon Gérôme, étude d’après un modèle féminin pour À vendre, esclaves au Caire , vers 1872. Huile sur toile, 48 x 38 cm Collection particulière. Photo service de presse © Photo courtoisie Galerie Jean-François Heim – Bâle

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