Extrait Dossier de l'Art

8 / DOSSIER DE L’ART 259 ENTRETIEN AVEC LE COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION de polychromie : la première, la poly- chromie naturelle, qui consiste en un assemblage de marbres de couleurs différentes avec d’autres matériaux, et la polychromie artificielle, qui est la mise en peinture d’un matériau en règle générale blanc (cire, marbre ou bois). La polychromie naturelle est la première à être acceptée par la critique car elle se réfère de manière incontestable à une pra- tique antique. Elle va se déployer de façon remarquable jusqu’à la fin du siècle, notamment dans la veine des statues et statuettes chryséléphan- tines, mais c’est elle toutefois qui s’éteint le plus rapidement. Comme les visiteurs pourront le voir, l’une des apothéoses, qui est en même temps un chant du cygne, de la grande sculpture polychrome d’as- semblage naturelle est la statue pré- sentée par Alfred Barrias à l’Exposi- tion universelle de 1900 : La Nature se dévoilant à la Science . Véritable tour de force technique, elle devait aussi offrir une vitrine des matériaux provenant d’Algérie, qui était alors un département français : marbres jaspés, albâtres que l’on appelait alors « marbres-onyx », etc. Cette œuvre a eu beaucoup de succès ; elle a été largement diffusée dans des matériaux très luxueux – ivoire, lapis, granit – ou dans une version monochrome dorée où seul se déta- chait un scarabée de jaspe. suffisamment habile pour traduire dans le marbre blanc la vibration de la chair, le mouvement des draperies et des chevelures. Peu à peu cepen- dant, cette vision cède du terrain. Les sculpteurs se mettent à concevoir des œuvres dans lesquelles la cou- leur intervient. Cela commence avec Auguste Clésinger dans les années 1840, et quelques autres sculpteurs audacieux pour leur temps. C’est tou- tefois Charles Cordier qui, le premier, ose accorder à la polychromie une place de premier plan. Comment furent reçues à l’époque les magistrales œuvres polychromes de Cordier ? Rappelons qu’au XIX e siècle on dis- tingue essentiellement deux types Autour de 1850, où en est le débat sur les couleurs réelles ou supposées de la sculpture antique ? Depuis le début du siècle, on a les preuves incontestables que la sculp- ture et l’architecture antiques étaient peintes. L’ouvrage de Quatremère de Quincy, Jupiter olympien , en a fait état pour le grand public dès 1814. Ce qui fait débat depuis quelques années, c’est plutôt la question de savoir si l’on doit, en prenant acte de ces découvertes archéologiques, peindre les sculptures contempo- raines. Pendant deux décennies envi- ron, le camp académique a affirmé son opposition radicale à la poly- chromie ; Charles Blanc, qui en est l’un des principaux représentants, estimait que le sculpteur devait être « La polychromie naturelle est la première à être acceptée par la critique car elle se réfère de manière incontestable à une pratique antique. » La sculpture selon Charles Blanc Pour la sculpture polychrome au XIX e siècle, l’historien et théoricien de l’art Charles Blanc représente un adversaire de taille car il est l’un de ceux dont les arguments portent, dépassant le strict point de vue (idéologique, au fond) de la tradition. Il les développe dans sa colossale Grammaire des arts du dessin , qui se veut avant tout une éducation à l’histoire des arts (à partir de leurs carac- téristiques formelles) et à la compréhension de la beauté. Son opposition à la polychromie s’adosse à une conception ferme de la nature, des moyens et des ambitions de la sculpture. Placée entre l’architecture et la peinture, la sculpture selon Charles Blanc est la seule à viser à proprement parler le beau, et, du même coup, la seule à endosser un rôle civique : donner forme aux grandes idées. La noblesse de cette quête unit de manière indissociable cet art aux matériaux pérennes (le marbre, la pierre). Si la sculpture doit ignorer la couleur, c’est pré- cisément parce que cette dernière, outil du peintre, est extérieure à son champ. Et si le sculpteur est grand, c’est en tant qu’il trouve dans la seule virtuosité de son ciseau, dans le pur rapport de la forme à la matière nue, le moyen de trans- crire la présence de l’idéal dans l’individu. On mesure tout l’effort qu’il fallut aux artistes pour passer outre cet implacable interdit, qui condamnait la sculpture au blanc sous le prétexte même de sa dignité... A. F. Louis-Ernest Barrias, La Nature se dévoilant à la Science , 1899 . Marbre et albâtre d’Algérie, calcite, malachite, lapis-lazuli, terrasse en granit gris, H. 200 ; L. 85 ; P. 55 cm. Paris, musée d’Orsay © RMN (musée d’Orsay) – R.-G. Ojéda

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