Extrait Dossier de l'Art

20 / DOSSIER DE L’ART 253 Réalisé entre 1855 et 1857, L’Angélus doit notamment sa réputation aux sommes vertigineuses qu’il atteignit dans le dernier tiers du XIX e siècle. Après être passé de mains en mains jusqu’en 1872, le tableau est vendu par le marchand Durand-Ruel au collectionneur belge John Waterloo Wilson pour le prix déjà très élevé de 38 000 francs. LE DESTIN NATIONAL... Après la mort de l’artiste en 1875, sa cote monte en flèche, et Wilson cède son tableau à Eugène Secrétan pour 160 000 francs en 1881. D’abord objet de spéculation, l’œuvre devient en 1889 un motif de fierté nationale lorsque la collection Secrétan est dispersée chez Christie’s. Largement relayée par la presse américaine et française, cette vente oppose l’Ame- rican Art Association à un comité majoritairement français, formé par Antonin Proust, qui œuvre pour l’en- trée au Louvre du tableau de Millet. Après avoir fait monter les enchères jusqu’à 553 000 francs, l’AAA se désiste en faveur du comité, mais la Chambre des députés ne parvient pas à faire voter les crédits nécessaires pour compléter la somme déjà réunie par Antonin Proust et ses associés. Exposé à Paris du 8 au 9 juillet 1889 pour un dernier adieu, le tableau est finalement acheté par les Américains pour 580 650 francs puis exposé, seul, à New York avant de parcourir l’Amérique où il connaît un triomphe. Tandis que les Français se consolent en achetant des reproductions gra- vées de L’Angélus , Alfred Chau- chard lave l’affront en 1890 lorsqu’il offre 800 000 francs pour racheter ce trésor national où, selon les mots de Gambetta en 1889, « le citoyen passe dans l’artiste » et nous donne « une leçon de morale sociale et poli- tique ». Légué au Louvre en 1909 par Chauchard, L’Angélus commence sa nouvelle vie d’icône républicaine et orne désormais boîtes à gâteaux et autres assiettes en faïence. Manifes- tement écœuré, un ingénieur au chô- mage ira jusqu’à porter des coups de couteau au malheureux tableau en 1932. Six ans plus tard, Dalí consacre à la toile un texte, « Le mythe tra- gique de L’Angélus ». ... D’UN SIMPLE SOUVENIR Comme souvent chez Millet, ce tableau ne doit pas être interprété d’un point de vue strictement poli- tique ou religieux. Ainsi que le peintre l’explique en 1865 à son ami Siméon Luce, il s’agit avant tout d’un souvenir d’enfance, lorsque sa grand- mère faisait arrêter les travaux des champs « pour dire l’Angélus pour ces pauvres morts , bien pieusement et le chapeau à la main ». Au même titre que le geste du semeur ou que la position harassée des Glaneuses , le sujet paysan chez Millet est affaire de répétition. Celle des gestes, des postures ou des habitudes. En l’oc- currence ici, la répétition, trois fois par jour, d’un rituel qui immobilise les corps, la femme joignant les mains avec ferveur tandis que l’homme se contente de faire tourner son cha- peau en baissant la tête, simple geste machinal ponctuant sa journée de labeur. Pierre Pinchon L’ANGÉLUS Arrêt sur une œuvre L’Angélus , 1857-59. Huile sur toile, 55,5 x 66 cm Paris, musée d’Orsay. Photo service de presse © Musée d’Orsay, dist. RMN – P. Schmidt

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