Extrait Dossiers d'Archéologie

21 P our étudier l’émergence d’ Homo sapiens parmi les primates, les chercheurs disposent d’une collection de fossiles. Ces traces du passé, que l’on sait dater, permettent des exper- tises d’anthropologie physique et, grâce à l’ADN, des reconstitutions de séquences génomiques de plus en plus complètes. Les nouvelles découvertes provoquent régulièrement des reconsidérations de consensus établis auparavant. Il n’existe pas de telles données pour étudier l’émergence de la parole. Le premier document sonore que l’on peut écouter, celui de Scott Mar- tinville, enregistré avec son phonautographe, ne date que de 1860, et la reconstitution des sons des langues anciennes à partir de l’écriture ou de la linguistique historique ne permet de remonter dans le passé que de quelques milliers d’années. L’INSTRUMENT DE PRODUCTION DES SONS DE LA PAROLE La production de la parole utilise tout un ensemble anatomique qui sert d’abord à assurer des fonctions vitales : respiration, succion, mastication et déglutition. Au cours de l’évolution cet ensemble a été détourné pour jouer un rôle différent, en même temps ou en alternance. Pour parler, les poumons servent de soufflerie, afin de faire vibrer les cordes vocales (appelées aussi plis vocaux), situées dans le larynx (parfois appelé boîte vocale). Ce signal source transite par le conduit vocal qui s’étend de la glotte (l’espace entre les cordes vocales) jusqu’aux lèvres. C’est un tube dont la forme peut être modifiée par les mouvements de la langue, de la mandibule et des lèvres. Ce sont ces modifications qui per- mettent de créer les sons différenciés que néces- site la parole, grâce à sept paramètres de contrôle : trois pour la configuration de la langue, un pour les mouvements de la mandibule et deux pour gérer la forme du pavillon labial. Enfin, l’abaissement du voile du palais ouvre les fosses nasales à l’onde sonore, pour produire les voyelles et les consonnes nasales. On retrouve ces mêmes pièces anatomiques chez le singe : les dissections montrent que ses cordes vocales sont très semblables à celles des humains et que sa langue a exactement la même musculature. Les proportions du conduit vocal des singes se rapprochent plus de celles d’un enfant que de celles d’un adulte humain. La taille de leur pharynx n’est pas aussi grande, car leur larynx est positionné plus haut. Cette différence a servi de base à la « théorie de la descente du larynx » pour dénier aux singes la possibilité de produire des vocalisations différenciées, contrai- rement à l’homme, dont le larynx descend au cours de la croissance; mais cette théorie n’est plus soutenable. Conduit vocal (contour vert) et larynx (dans le quadrilatère rouge). Des études de modélisation chez l’humain ont révélé les principaux paramètres de contrôle utilisés pour parler. Avec une anatomie de la langue et du larynx analogue à celle de l’homme, le babouin produit des protovoyelles différenciées. © L.-J. Boë

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