Extrait Art et Métiers du Livre

AML N ° 363 19 De la légende au roman Imaginée par les premiers chrétiens de l’Égypte copte, la légende apo- cryphe de Thaïs est, au cours des siècles, rapportée dans de nom- breuses vies de saints. Prenant connaissance de la version d’une bénédictine du X e siècle, Anatole France lui consacre un roman paru en 1890.Moralement édifiante pour  les âmes, Thaïs prend la forme d’un conte philosophique tourné en satire jubilatoire de la piété qui vau- dra à l’auteur l’opprobre du clergé et la mise à l’index de l’ouvrage. De quoi est-il question ? Le récit met en scène un moine cénobite nommé Paphnuce qui quitte le désert pour convertir Thaïs, volup- tueuse courtisane dont les charmes ont tourmenté sa jeunesse. En évo- quant l’éphémérité de sa beauté, l’ermite l’amène à délaisser les plai- sirs du monde et à gagner la sain- teté en faisant pénitence dans un couvent. Paphnuce, lors de son retour à la vie d’ascète, témoigne d’un prosélytisme exalté, tout en refoulant mal les pulsions érotiques qu’il éprouve envers celle qu’il a éveillée à Dieu.Tandis qu’il accourt au chevet de l’héroïne agonisante, le moine lui avoue son désir d’amour physique, alors qu’elle vit, déjà, l’extase du paradis. Les rôles se sont inversés : Satan triomphe. L’opéra L’antagonisme de la luxure et de l’ascétisme donne l’occasion de digressions philosophiques dont l’ironie trahit l’anticléricalisme de l’écrivain. Cette opposition prend à rebours les versions initiales d’une vie sainte qui, vidée des traits polé- miques du roman, offre une puissante assise dramatique au théâtre musical. L’occasion était belle pour que le librettiste Louis Gallet et le composi- teur Jules Massenet unissent leurs compétences pour faire rebondir le sulfureux récit d’Anatole France en le transposant dans les domaines de la musique et de la voix. Thaïs à l’opéra n’a, depuis, cessé de provoquer la créativité des metteurs en scène,musiciens,sopranos, barytons, chorégraphes, danseurs… Le projet Le relieur qui reven- dique la dignité d’être « d’art » peut-il, dans le périmètre discret de son activité au service du livre, soutenir le défi  Thaïs , les reliures de Rose-Marie Dath L’Égypte, thème de l’exposition présentée cet été par l’ARA Belgica au château de Belœil, a amené Rose-Marie Dath à relier une édition ancienne de Thaïs d’Anatole France, publiée en 1890. Cette reliure prend place au sein d’une ins- tallation qui célèbre la littérature et la musique : l’opéra de Massenet, le livret de Louis Gallet et une collection de vidéo- disques témoignant de spectacles présentés sur les plus pres- tigieuses scènes de l’opéra. d’une noblesse de création équiva- lente à celle d’un écrivain ou d’un compositeur ? Telle est la question que pose implicitement, après beau- coup d’autres consœurs et confrères, Rose-Marie Dath. Au hasard de sa confrontation à un roman, aussi daté au plan philoso- phique et littéraire qu’il reste actuel dans les rapports au désir qu’il décrit, elle a étendu le défi aux  interprétations offertes par les meilleures scènes de l’opéra. Livret, partitions d’origine et adaptations récentes gravées sur DVD éloignant du naïf récit initial, il s’agissait de pénétrer l’esprit de chaque volume et de réserver à l’ensemble l’unité d’une commune vision plastique. Anatole France, Thaïs , illustrations de Paul Albert Laurens, Dix, Paris, 1900. Reliure traditionnelle de Rose-Marie Dath, vachette anthracite montée sur onglets, gardes bord à bord de chèvre velours, tranchefiles brodées. Décor : technique mixte mêlant papiers « batikés », incrustations de polypores séchés et ponctuations diverses, en contrepoint de la beauté de l’héroïne. Louis Gallet, Thaïs ,Calmann-Lévy,Paris 1894. Reliure et décor sur le même principe.

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