Extrait Art et Métiers du Livre

AML N° 337 51 R egarder l’œuvre gravé de Jean Lodge et s’entretenir avec elle, c’est s’approcher progressivement d’une vérité biographique, historique et artistique, découvrir peu à peu le motif qui sous-tend tout son travail et à partir duquel elle crée ses images singulières. Comme dans la vie, en tout cas la sienne, c’est une quête permanente et de l’arrière-fond de ses bois polychromes surgissent soudain des visages, le plus souvent féminins, des mains, des enfants, des papillons, des arbres, des clowns, des marais salants, des bribes de texte. Rien n’est donné d’avance, tout se dévoile et se dérobe en même temps. Par- fois il faut s’éloigner de l’image pour la voir apparaître, et c’est alors comme si un fan- tôme venait à notre rencontre. Intuitive- ment mais savamment composées, ses gra- vures semblent construites autour d’une énigme, une énigme qui fait rêver. Impos- sible de ne pas penser ici à la nouvelle d’Henry James, d’origine américaine comme Jean Lodge, Le Motif dans le tapis, dans laquelle un critique littéraire trans- formé en fin limier s’acharne en vain à trouver le secret d’un fameux écrivain qui Jean Lodge À la recherche de l’image perdue D’origine américaine, Jean Lodge, installée à Paris depuis 50 ans et exposée dans le monde entier, a construit une œuvre riche et singu- lière, essentiellement gravée sur bois. Ses images polychromes qui interrogent avec une grande liberté le mystère des origines, les secrets d’enfance, les migrations, les héroïnes légendaires, font apparaître entre les veines du bois tout un monde lointain, presque fantomatique. Par Laurence Paton Jean Lodge dans son atelier. Page de gauche : Phoenix, gravure sur bois de fil, 2019, ex. 3/9, format de la matrice : 54 x 41 cm. serait exposé dans ses livres « comme une figure dessinée et dissimulée à la fois dans les entrelacs d’un tapis persan ». L’œuvre de Jean Lodge, riche de plusieurs centaines de gravures essentiellement sur bois et en couleurs, et également de collages et de livres imprimés sur toutes sortes de sup- ports, joue à découvrir et à mettre en forme ce secret et cette quête. Un mystère qui demande à s’exprimer Née en 1941 à Dayton (Ohio), Jean Lodge a une double origine : juive allemande par sa famille maternelle, qui a fui l’Allemagne dans les années 1930, et anglaise par ses grands-parents paternels qui ont émigré dans l’Ohio, où ils reçurent 100 hectares de terres. « Le bois tenait une place centrale dans leur vie. » Devenue graveuse, Jean Lodge se souviendra de ses ancêtres, ainsi que des promenades qu’elle faisait enfant dans les forêts profondes entourant leur ferme. Elle leur consacrera sa première série de gravures sur bois : « C’était le matériau le mieux adapté pour réaliser des images de ces pionniers » ( Ancestors III,

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