Extrait Archéologia
ARCHÉOLOGIA N° 595 / 35 a emporté le contenu des bibliothèques et des œuvres d’art ayant survécu à la violence du siège de la ville) devait être totale : la ville fut rasée, les survivants vendus, ce qui reflète la volonté d’anéantissement absolu d’un adversaire longtemps redouté par Rome (même si la stérilisation du sol cartha- ginois, en répandant du sel et en passant la charrue, est vraisemblablement légendaire). À l’inverse, en 1812, l’incendie de Moscou, selon une politique de terre brûlée devant les troupes napoléoniennes, montre que l’on peut aussi détruire tout ou partie de son propre patrimoine pour renforcer son prestige à travers une ruine volontaire et stratégique. Enfin, de nombreux et tristes exemples de destruction partielle ou totale illustrent les dégâts collatéraux de la guerre, que ce soit par exemple à Arras pendant la Première Guerre mondiale, ou encore à Dresde ou Varsovie au cours de la Seconde. Cette pratique trop souvent indissociable des conflits, quelles que soient les époques, n’en a pas moins été critiquée dès l’Antiquité. Dans la lignée des premiers textes de lamen- tations sur la ruine d’Ur en 2004 avant notre ère, les Lamentations bibliques de Jérémie sur les ruines de Jérusalem sont ainsi parti- culièrement célèbres. DÉTRUIRE POUR « AMÉLIORER » Les vestiges archéologiques sont parfois détruits avec les meilleures intentions du monde, qu’il s’agisse de pudibonderie (quand on a repeint de magnifiques nus pour les habiller par exemple) ou bien d’une volonté d’embellir et de moderniser l’existant. Dans le cadre de la rénovation, sinon paradoxalement de la reconstruction de villes et pays ravagés par des conflits (comme à Beyrouth après la guerre civile), on a souvent rasé sans état d’âme d’anciens édifices pour leur en substituer de nouveaux, plus au goût du jour – en témoigne notamment la succession d’églises paléochrétiennes, puis romanes, gothiques, Renaissance, et ainsi de suite, qui peuvent « se super poser » sur un même site… Destiné à moderniser Paris, le programme du baron Haussmann, lancé dès 1853, est un exemple fameux de démo- lition à grande échelle du patrimoine parisien, au grand dam de ses défenseurs, dont Victor Hugo. Ce dernier avait commencé, dès 1825, à dénoncer « le marteau qui mutile la face du pays » dans une Note sur la destruction des monuments en France , suivie en 1832 d’un article intitulé « Guerre aux démolisseurs » publié dans la Revue des Deux Mondes . C’est l’époque de la création de la Conservation des monu- ments historiques français et du poste d’Inspecteur général des monu- ments historiques, occupé en premier lieu par Prosper Mérimée, lequel sauva d’une disparition certaine un grand nombre de monuments à travers toute la France. On n’en a pas moins connu jusqu’à nos jours d’houleux débats entre les tenants d’une nécessaire destruction pour moderniser et les défenseurs de cet héritage de fait menacé, à l’image, dans les années 1970, de la suppression des Halles de Paris. A. T. Démolition des Halles centrales de Paris en 1971, construites au milieu du XIX e siècle par Victor Baltard. © Lylho / Leemage
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