Extrait Art de l'Enluminure

Le suicide du pèlerin inspiré par le diable Tel un texte disposé en colonnes, le récit se poursuit en haut à droite, une césure qui permet de passer de la vie du saint et de la translation de son corps à sa légende et à ses miracles. Le premier épisode est particulièrement tragique : un pèlerin se suicide en s’enfonçant un poignard dans le ventre. La scène est située au pied d’une formation rocheuse. À droite, une trouée laisse deviner, au loin, la silhouette d’une ville qui se dissout dans l’épaisseur de l’atmosphère. Plus proche de nous, un bâtiment fortifié muni d’une tour jouxte un vaste plan d’eau où voguent des bateaux. Tel est le décor d’un des prodiges les plus populaires de saint Jacques. La Légende dorée en donne deux variantes. L’une, inspirée d’un miracle du Liber sancti Jacobi , est prolixe et riche en détails narratifs qui auraient pu stimuler l’imagination de l’enlumineur. C’est pourtant l’autre, courte et assez vague, qui eut ses faveurs. En voici la trame : en route vers Compostelle, un pèlerin rencontre le diable qui, selon la Légende dorée , lui serait apparu sous les traits de saint Jacques. Ce n’est pas le cas ici : Satan a l’apparence d’un homme du peuple, un pèlerin peut-être, dont il possède en tout cas le bourdon. Sa jaque de couleur noire et sa cale rouge dont émergent deux petites cornes ne laissent pourtant aucun doute sur son identité. Malheureusement, l’infortuné jacquet n’a rien remarqué. Les deux hommes ont lié connaissance sur les hauteurs du rocher. Chemin faisant, le diable a eu le temps d’exposer à son compagnon le grand drame de l’existence. Il lui a fait entrevoir aussi la délivrance que lui procurerait la mort. Arrivé au pied de la colline, le pèlerin en est convaincu : mieux vaut en finir. Il se plonge alors un couteau dans le ventre, sous les yeux de l’être infernal, figuré au premier plan. On distingue clairement son visage barbu, au nez fort, et sa main droite, dont il serre les doigts contre la paume, comme s’il s’agissait de griffes. Le pèlerin s’écroule, genoux fléchis. Un stroboscope semble avoir capté sa chute, car l’homme est représenté une seconde fois, étendu sans vie sur le sol, l’arme au poing, le bourdon gisant à ses côtés. Un passant vêtu de rouge, appuyé sur un bâton, observe la scène. La suite de l’histoire, narrée par le pèlerin après sa résurrection, est figurée de façon elliptique. Elle n’est plus suggérée que par une cour céleste, peinte dans le haut de la miniature et séparée du ciel par une nuée. On y distingue saint Jacques, mains jointes devant la divinité entourée de ses saints, plaidant la cause du pèlerin. Il demande à Dieu de pardonner son fidèle serviteur et de le faire revenir à la vie. L’apôtre n’abandonne pas ceux qui se rendent sur son tombeau. Puissant inter- cesseur, que l’on invoque au Moyen Âge à l’heure de la mort, il a l’oreille de Dieu et sa demande sera accordée. ■ Maître de la Légende de sainte Godelieve, La mort d'un pèlerin tenté par le diable (en haut) ; Saint Jacques plaide la cause du défunt et, accompagné d’un ange, le ressuscite, panneau d’un retable de la vie et des miracles de saint Jacques, Bruges, dernier quart du XV e siècle, Indianapolis, Museum of Art, James E. Roberts Fund, inv. 24.3. © Courtesy of Indianapolis Museum of Art at Newfields.

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