Extrait Art de l'Enluminure

Les Heures de Rohan Le célèbre manuscrit de la Bibliothèque nationale 31 se présente d’abord comme un ouvrage d’une remarquable unité, plus encore même que les Heures d’Isabelle Stuart . À l’exception des onze miniatures qui occupent la totalité d’un folio, chaque page présente la même disposition : une seule colonne de texte, assez large, encadrée d’un filet d’or, parfois remplacée par une miniature, est flanquée sur le côté d’une petite miniature rectangulaire accompagnée d’une légende qui en précise le sujet. Toutes les marges sont couvertes d’une vigneture très fine, portant moins de feuilles que de petits fruits ronds ou de fleurs d’or. En dessous et au-dessus des petites miniatures de marges viennent s’inscrire des branches fleuries dont les équivalents plus petits se retrouvent aux angles extérieurs des textes. Il en résulte une sobriété qui donne toute leur valeur aux images. Si l’on compare ces pages à celles des Heures de Bedford , elles s’imposent par leur élégance et leur clarté à côté de la surcharge lourde de leurs contemporaines. Ce qui renforce encore l’unité, c’est l’utilisation d’une même palette de couleurs par les différents intervenants, dans laquelle domine le bleu associé à des rouge clair, des rouge orangé et des bruns. Les fonds sont tantôt des mosaïques de couleurs un peu sombres, tantôt des ciels bleus parsemés de nuages dorés, aussi fréquents chez le Maître de Giac que chez le Maître de Rohan. La part de l’intervention personnelle du Maître, Jean Hermant, a été jusqu’ici, on l’a vu, très sévèrement jugée par de nombreux auteurs. Les positions restrictives ne sont guère compréhen- sibles. Elles sont fondées sur une sin- gulière idée des artistes en général et des miniaturistes en particulier. Elles tendent à considérer que les peintres n’ont qu’une seule écriture picturale, ce qui est souvent vrai de miniaturistes artisans. Mais un grand peintre peut parfaitement avoir des pratiques diffé- rentes adaptées aux exigences des commandes ou des sujets, ou même plus simplement dictées par son humeur du moment. En outre, des livres d’heures aussi somptueux, exigeant plusieurs centaines d’images, nécessitent non seulement des collaborations mais aussi une réalisation rapide qui ne laisse pas toujours la possibilité de finir chaque image avec le même soin. Alors que les précédents manuscrits font intervenir le plus souvent un dessin à la plume, dans les Heures de Rohan c’est le pinceau qui domine. Des variantes d’exécution sont fré- quemment sensibles d’une page à l’autre qui ne relèvent pas d’un chan- gement de main, mais bien de la liberté et de la spontanéité de l’artiste. Ainsi, par exemple dans l’Annonciation, les visages de la Vierge et de Gabriel ne sont pas modelés, alors que ceux de sainte Élisabeth et de la Vierge dans la Visitation (ci-dessous, p. 46), qui sont visiblement de la même main, le sont 44 Page de droite : Jean Hermant, Annonciation, Heures de Rohan , Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Lat. 9471, f° 45. © BnF. Ci-dessous : Jean Hermant, Annonciation, Heures de Buz , Harvard, Houghton Library, ms. Richardson 42, f° 20. © Harvard, Houghton Library.

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