Extrait L'Objet d'Art n°557

4 L’OBJET D’ART JUIN 2019 LENS HOMÈRE, « MAÎTRE D’ÉCOLE » DE L’OCCIDENT Père légendaire de l’ Iliade et de l’ Odyssée , les deux épopées fondatrices de la littérature européenne, l’énigmatique Homère accoste au Louvre-Lens avec son cortège de dieux et de héros le temps d’une ambitieuse exposition qui, en 250 œuvres, décrypte l’influence de ces récits sur la civilisation occidentale. S on visage nous est familier. Il est celui d’un vieillard barbu aux traits majestueux dont les yeux privés de lumière suggèrent la richesse de sa vie intérieure. Cette représentation fameuse de l’aède au sommet de son art se dessine dès les années 460 avant J.-C. et sera lar- gement diffusée jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, que sait-on réellement de ce poète aveugle et errant ? Où et quand a-t-il vécu ? A-t-il seulement existé ? Depuis l’Antiquité, savants et spécia- listes s’interrogent, mais malgré le nombre considérable de biographies et de recherches qui lui ont été consa- crées, ce personnage demeure insai- sissable. « Homère : n’a jamais exis- té » affirme ainsi Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues , faisant écho à un texte de l’époque byzan- tine décrivant déjà le poète comme « inconnu des hommes ». Un univers anachronique Les deux poèmes épiques dont il serait l’auteur se révèlent tout aussi difficile à cerner. L’ Iliade et l’ Odyssée furent d’abord desœuvres orales trouvant leur origine dans l’âge du bronze et dont la transmission par l’écrit date possiblement de l’invention de l’alphabet grec vers le VIII e siècle avant J.-C. L’univers dans lequel vécurent et moururent les hé- ros de la guerre de Troie fut longtemps considéré comme historique : de Strabon à Heinrich Schliemann, ils furent nombreux à avoir tenté de retrouver les vestiges de la mythique cité de Troie et les traces du périple d’Ulysse. Réunissant des objets dont la datation s’étale du XVI e au VIII e siècle avant J.-C., cette archéologie homérique se caractérise pourtant par son hétérogénéité chronologique. Plusieurs siècles séparent par exemple le casque en dents de sanglier dit de Mérion d’époquemycénienne des bûchers funéraires d’époque géométrique. Intrinsèquement anachronique, ce monde de héros a donc été forgé par des actualisations successives selon un phénomène de « trans- mission-corruption », les poèmes étant continuellement enrichis d’éléments contemporains afin de rester en phase avec leur audience. Donner vie au monde d’Homère L’exploitation iconographique des vers homériques connut une ex- traordinaire fortune : du IX e siècle avant notre ère à aujourd’hui, ils ne cessèrent d’inspirer les artistes. Confrontés parfois au silence du texte, ils durent rivaliser d’imagination pour représenter certaines scènes, à l’image de l’attaque des sirènes uniquement décrites par leur chant. L’exposition vient rappeler que certains des plus célèbres épisodes de la guerre de Troie et du périple d’Ulysse ne figurent pas dans l’œuvre originelle et que les artistes durent puiser au sein d’un ensemble de textes vraisemblablement plus tardifs regroupés sous le nom de « poèmes du Cycle ». Vestiges d’un ensemble d’épopées à jamais disparues, ces fragments réunissant notamment les Chants cypriens et la Petite Iliade nous content la jeunesse d’Achille et samort, ou encore l’épisode fameux du cheval de Troie. Jean-Baptiste Auguste Leloir, Homère , 1841. Huile sur toile, 147 x 195 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © RMN-GP (musée du Louvre) / Franck Raux EXPOSITIONS

RkJQdWJsaXNoZXIy MTEzNjkz