Extrait L'Objet d'Art

1 MAI 2019 L’OBJET D’ART «T ous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désor- donnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. » CeslignesprémonitoiresdeVictorHugodans Notre-DamedeParis (1831), nousaurionsaiméne jamaisavoir à lesciter, ni àpublier laphotodumonu- ment en flammes dans notre newsletter « Lesmardis de L’Objet d’Art » le 16avrildernier,niàconsacrerlachroniquedupatrimoined’AlexandreGady de ce nouveau numéro à l’incendie ravageur qui a dévasté Notre-Dame. Une cathédrale de compétition C’est quand lamaison brûle qu’on se rend compte à quel point on l’aime, déclarait Stéphane Bern au moment du drame. La catastrophe a en- traîné une avalanche de dons, près d’un milliard d’euros au moment où nous écrivons ces lignes, trois jours après l’incendie – élan d’une extraordinaire générosité venant montrer à quel point nous avons be- soin de la présence rassurante desmonuments séculaires, grands ou petits, qui forment notre patrimoine et qui nous transcendent, nous qui ne vivons finalement à peine plus que l’espace d’un matin. Miraculeusement aussi, alors que le budget consacré au patrimoine s’effondre d’année en année, que des abbayes ferment car elles me- nacent de s’écrouler et que les églises parisiennes se délabrent, le drame a imposé une trêve au monde politique, uni dans une émotion sincère – mais l’espace d’un matin aussi seulement. Car très vite, la surenchère s’est imposée ; Notre-Dame est devenue un enjeu du pouvoir politique, une cathédrale qu’il faut rebâtir en cinq ans encore plus belle qu’avant, une cathédrale de compétition en somme, dont le destin pluricentenaire devient soudainement lié à la date bu- toir d’éphémères Jeux olympiques. Oyez, oyez, brave lectrice, brave lecteur, en 2024, nous aurons du pain, des jeux et une cathédrale à la toiture flambant neuve ! Et certains architectes d’annoncer sur les ondes leur intention de se porter candidat au concours lancé pour la reconstruction de la flèche et de raisonner en fonction du délai im- parti et non pas de celui que pourrait imposer une réflexion sereine sur la restauration de la cathédrale et la reconstruction de ses parties détruites. Car évidemment les questions se posent, et derrière elles, les débats lé- gitimes qui ont agité lepatrimoine tout au longde sonhistoire : faut-il re- construire à l’identique?Refaire une« forêt »dont on évoquera au qua- trièmemillénaire l’ancienneté après le terrible incendie de l’an 2019 ? Imaginer une flèche nouvelle qui portera l’empreinte du XXI e siècle ? Patience et longueur de temps font plus que force, ni que rage, et il faut espérer que Notre-Dame, après avoir été le jouet des flammes, ne terminera pas au bûcher de vanités insensibles aux réels enjeux patrimoniaux. Jean Fouquet, La Dextre de Dieu protégeant les fidèles contre les démons , vers 1452-1460. Tempera et feuille d'or sur parchemin, 19,4 x 14,6 cm. New York, The Metropolitan Museum of Art. © courtesy of The Metropolitan Museum of Art, New York ÉDITORIAL

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