Extrait L'Objet d'Art

RIEHEN-BÂLE LE MONDE SENS DESSUS-DESSOUS Bâle célèbre les 80 ans de Georg Baselitz, l’un des plus grands peintres vivants. À travers quelque 80 peintures et 10 sculptures à la fondation Beyeler (Riehen) et en une centaine de dessins au Kunstmuseum (Bâle), l’artiste entre dans l’histoire de l’art au firmament des maîtres. L’art comme révolte Georg Baselitz avoue dans un entretien avec le commissaire de l’expo- sition de Riehen, Martin Schwander : « Aujourd’hui je trouve fabuleux d’être intégré comme ça dans l’histoire de l’art. C’est au fond l’élément le plus positif de toute ma vie » et il admet dans le même temps, lors de sa conférence de presse, avoir regardé ce peintre sur les murs de la fondation Beyeler comme on découvre un étranger. Étranger à soi- même : drôle d’idée alors que son art révèle l’intimité de sa vie, sa sensibilité d’écorché face à l’histoire, sa révolte profonde, absolue. À une question que nul ne lui pose, il répond qu’il a voulu devenir artiste pour ne pas faire quelque chose de raisonnable, pour s’opposer à tout. Mais il ajoute : « je me suis bien vite aperçu qu’en tapant sur un piano, on ne fait que du bruit ». Du bruit, il en fait, certes, avec la fameuse ex- position scandaleuse de 1963 à la galerieWerner &Katz, qui s’ouvre sur La Grande Nuit dans le seau . Un grand escogriffe aux allures quelque peu hitlériennes se masturbe sous nos yeux. Monstrueux. Répulsion et fascination caractérisent de fait les débuts, que l’on redécouvre en des œuvres parfois rarement montrées, tronçons de corps sanglants ou têtes de spectres sur fond de couleur chair crue ( Oberon ( 1 er Salon Orthodoxe 64 – E. Neïzsvestny) , 1964). Il assume parfaitement ses grosses « conneries », dit-il en souriant d’un air de félin satisfait de son vocabulaire au vitriol. Rappelons que l’après-guerre n’est pas tendre pour les jeunes Allemands, et que le jeune homme réfugié à l’Ouest semble porter le poids du monde : ses héros en lambeaux, ses aigles peints avec les doigts et chutant dans un ciel couleur cobalt, parlent de la douleur de l’histoire et de la chute. Ses références littéraires et pictu- rales font demême, deMunchà JosephBeuys, deDostoïevski àAntonin Artaud, qu’il révère tant pour ses écrits que pour ses dessins. Les siens propres s’en souviennent, à coups de griffes et de noirs profonds. Peindre la peinture Peintures et dessins peuvent dérouter par leur diversité, mais fas- cinent par leur qualité constante, leur énergie et leur rigueur mêlées. La multiplicité des modèles, de la peinture symboliste nordique au maniérisme italien, de la sculpture africaine à Willem de Kooning ou Picasso, révèlent l’éclectisme de l’artiste en même temps que sa pré- férence pour un art pétri d’énergie et de vitalité et flirtant avec les gouffres de l’inconscient. « Pour moi – je le sais mieux qu’autrefois – les tableaux sont seulement possibles s’ils prennent d’autres tableaux DE GEORG BASELITZ À gauche : Oberon (1 er Salon Orthodoxe 64 – E. Neïzvestny) , 1964. Huile sur toile, 250 x 200 cm. Francfort-sur-le-Main, Städel Museum. Photo service de presse. © Georg Baselitz, 2018 – Photo : © Städel Museum – Artothek Peinture au doigt – Aigle , 1972. Huile sur toile, 250 x 180 cm. Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Pinakothek der Moderne, Wittelsbacher Ausgleichsfonds. Photo service de presse. © Georg Baselitz, 2018 – Photo : © Bayer & Mitko – Artothek 4 L’OBJET D’ART MARS 2018 EXPOSITIONS

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